Pratiquer le yoga à distance : défis et découvertes dans l'ère de la pandémie exprimer par Elodie Lantelme
On aurait préféré s’en passer, mais si la pandémie a eu une influence positive, c’est bien dans l’augmentation du nombre de ceux qui pratiquent le yoga et les gymnastiques douces.
Avec la fermeture des salles, cette pratique a migré à la maison. Ça semble plutôt sympathique, écrit comme ça, mais la réalité n’est pas toujours aussi rose.
On a tous besoin de changer d’air et arrive un moment où on est à saturation et on a du mal à profiter pleinement des bienfaits que la pratique nous procure habituellement.
Nous avons eu envie de partager avec vous le retour d’Élodie Lantelme (professeur de yoga, fondatrice et co-organisatrice du Festival de yoga et de la Good Vibes à la Clusaz).
Elle va nous parler de sa pratique d’aujourd’hui et sur les alternatives possibles pour ne pas s’essouffler et profiter au maximum.
Cannelle :
Bonjour Élodie, merci de nous donner du temps pour échanger avec toi. Avec la Covid, mais pas que, la pratique du yoga a beaucoup évolué ces derniers temps.
Dans le monde d’avant les cours se faisaient beaucoup en présentiel. Aujourd’hui tout le monde a recours à la visio. Alors comment fais-tu pour accompagner tes yogis à distance ?
Elodie :
Eh bien je dois avouer que mon accompagnement a évolué au fil de cette dernière année écoulée.
À l’annonce du confinement, voilà un an tout juste, j’ai ressenti vraiment fort la perte de repères que ça pouvait occasionner dans nos vies.
D’un seul coup, pour la plupart d’entre nous, elles se sont comme vidées de leurs rendez-vous : au bureau, avec les amis, les sorties culturelles, les repas chez les grands-parents.
Mais aussi les activités régulières, comme le yoga.
Alors pour retrouver mes élèves, réancrer le temps et son déroulement, le marquer davantage, l’idée d’organiser des cours en live sur Facebook 3 fois par semaine s’est très vite imposée.
C’était ma façon de dire « Vous voyez, il y a aussi du bon dans ce que nous vivons ! On continue à se retrouver, et peut-être plus largement, puisque les distances ne comptent plus !
Ne baissez pas les bras, on va y arriver, cultiver la bonne humeur autant qu’on peut dans ce contexte difficile ! »
Et j’ai été vraiment surprise autant que touchée par l’audience rencontrée… qui a dépassé de loin le nombre de mes élèves en cours « physiques ».
Donc j’ai monté mon site de cours en ligne, pour concrétiser les choses, leur donner peut-être une forme plus « officielle », qualitative.
J'ai assuré aussi une part de rentrées matérielles pour ceux qui le pouvaient tout en proposant des cours à petits prix.
Puis nous avons été déconfinés, j’ai retrouvé mes élèves en physique, et la frustration du digital m’a sauté aux yeux autant qu’au cœur.
Cannelle :
Selon toi, que perd-t-on quand on est en ligne, et y a-t-il des choses que tu as découvertes qui enrichit la pratique ?
Elodie :
Je ne peux parler que de mon ressenti en tant que professeur, il reste personnel et n’a pas du tout valeur d’universel.
D’ailleurs, certains enseignants se retrouvent peut-être pleinement dans ce mode de transmission et c’est très bien.
Car c’est aussi un excellent outil pour adapter sa pratique à son emploi du temps, abolir les distances quand on a trouvé un enseignement qui nous plaît.
Mais de mon côté, si je dois mettre un mot dessus, je dirais que j’ai trouvé l’enseignement en ligne « asséchant ». Il remplace la transmission par une démonstration.
Et cela m’a donné l’impression de renforcer la part égotique que notre pratique moderne du yoga favorise déjà largement à travers sa mise en scène sur les réseaux sociaux.
Là non plus, d’ailleurs, je ne trouve ça ni bien ni mal, c’est un fait et si ça a permis à davantage de personnes de trouver le yoga attractif, tant mieux !
On rentre d’ailleurs souvent dans le yoga par la porte de son esthétique et puis on y trouve ensuite beaucoup plus… ou pas, et c’est très bien comme ça !
J’adore cette générosité du yoga de tolérer toutes ses formes.
Je me méfie beaucoup de ceux qui ont besoin d’une légitimité supposée authentique approuvée ce qu’on se représente comme le « yoga traditionnel ».
Si on entend par là les formes les plus anciennes des asanas, on risque tous de se retrouver assis des heures durant (rires) !
Mais pour en revenir à l’enseignement en ligne, qu’on le veuille ou non, même en petit groupe et en ayant l’œil fixé sur les vidéos des élèves, on ne peut pas les corriger, les toucher.
Or le yoga que j’enseigne est un yoga construit dans la tradition du tantra, qui fait donc du corps un moyen d’aller vers l’éveil ou la libération.
Ce n’est pas un yoga de renonçant, d’ascèse, qui contraint le corps pour le faire s’oublier !
Il a toute sa place dans mon enseignement, et la grande porte d’entrée du corps, ce sont nos 5 sens.
Or, l’enseignement en ligne en nourrit seulement deux, l’ouïe et la vue, avec une prédominance de ce dernier.
Moi, j’ai besoin de voir mes élèves, de les entendre soupirer, rire à mes sorties parfois clownesques ou pleurer pour se laver de tensions profondes.
J’ai besoin de les toucher pour délier les crispations souvent inconsciemment accumulées dans certaines parties du corps.
Une épaule qui accepte de baisser les armes, de s’abandonner et de s’ouvrir quand on pose une main bienveillante dessus, c’est tellement d’émotion et de confiance libérées !
J’irais même jusqu’à dire que j’ai besoin de les sentir au sens propre, quand ils transpirent durant les séances de yoga dit « sportif ».
Ca risque de paraître bizarre à la lecture (rires), mais ce que j’adore, c’est de dessiner un cœur sur les vitres embuées de la salle emplie de Prana après un cours intense.
Avant d’aller boire ensuite une tisane ayurvédique ou un chaï préparé avec amour !
Bref, c’est dans cette richesse des sens et de l’échange que je trouve la saveur de l’enseignement du yoga.
Tu sais, ce « lien » au sens de « relation » qu’on peut trouver dans certains pans de son étymologie sanskrite.
C’est ça qui me nourrit profondément. Pour moi, l’homme est un animal social.
Et à travers les Yamas mais pas seulement, le yoga est ce qui l’accompagne dans la justesse de cette relation à l’autre, donc dans la relation à lui-même, donc dans les Nyamas.
Cannelle :
Comment fais-tu pour accompagner au mieux tes élèves à distance ? Que fais-tu que tu ne faisais pas forcément en salle, et vice-versa ?
Elodie :
C’est un peu compliqué de répondre à cette question, puisque je m’éloigne clairement de l’enseignement à distance…
Même si les messages de certains de mes élèves qui habitent loin sont une motivation forte pour proposer de temps en temps des pratiques en ligne, à des occasions particulières.
Le plus beau cadeau que je pourrais faire à mes élèves est une sorte de « suicide professoral et professionnel » s’il en est, car c’est de leur rappeler cette phrase de Jiddu Krishnamurti :
« Quand on apprend vraiment, on apprend tout au long de sa vie, sans être l'élève d'aucun maître en particulier.
Tout est prétexte à apprendre : une feuille morte, un oiseau en vol, une odeur, une larme, les pauvres et les riches, ceux qui pleurent, le sourire d'une femme, l'arrogance d'un homme.
Tout sert de leçon ; il n'est donc pas question de guide, de philosophie, de gourou ni de maître. Le maître, c'est la vie elle-même, et vous êtes en état d'apprentissage permanent. »
Et puisque je me place dans un courant de pensée qui rend synonyme vie et yoga, je dirais que le yoga se vit plus qu’il ne se transmet.
D’où la position un rien compliquée pour un professeur d’être là et de guider son élève vers lui-même, donc vers la disparition du besoin d’un professeur.
Heureusement, dans sa puissance unificatrice incomparable, le yoga lie très bien les contradictions (rires) !
Cannelle :
Dans la mesure du possible, et pour s’améliorer, est-il indispensable d’alterner avec des cours particuliers ?
Elodie :
Si les cours particuliers restent aujourd’hui la seule solution de pratiquer en réel et qu’il est possible de se les offrir – car ils sont aussi bien plus coûteux que des cours en ligne –, je les trouve très intéressants, puisqu’ils permettent de retrouver cette “humanité physique” de la pratique.
Ils satisfont l’ensemble de nos sens et sont nécessairement une expérience plus “globale”.
Après, je ne sais pas s’ils assurent une “amélioration” de la pratique, car je ne vois pas bien ce que ce terme recouvre.
Est-ce qu’il s’agit de réaliser des postures dites “plus avancées” au sens de plus physiques, type Adho Muka Vrksasana, Pincha, Hanumanasana ou autres ?
Ou de s’améliorer dans sa pratique de méditation pour tenir assis et sans bouger le plus longtemps possible ?
La notion d’amélioration mène souvent à l’alimentation de l’ego, ce qui ne me semble pas être un des buts du yoga, voire y est opposé.
On n’a pas tellement à être « la meilleure version de nous-mêmes », car ça avive une notion de compétition avec soi-même.
Et que ce même esprit de devoir être compétitif engendre dans nos sociétés beaucoup de souffrance.
On a à être pleinement nous-mêmes, c’est-à-dire des êtres humains.
Ce que le Samsara, le cycle des réincarnations hindouiste, considère comme la forme de vie la plus difficile, car la plus complexe.
On peut dire que nous abritons en nous l’ensemble des potentialités du vivant ou des catégories aristotéliciennes : le minéral de nos os, le végétal du besoin de lumière.
Également l’animal de notre reproduction, le spirituel de l’humain…
Être pleinement humain est une tâche herculéenne !
Alors en un sens, ce qui peut peut-être être amélioré au sens de « développé », c’est l’écoute de la vie en nous sous toutes ses manifestations. Elle nous conduit à tout.
En cours particulier ou en ligne !
Cannelle :
Aurais-tu des conseils pratiques à donner à des pratiquant(e)s pour profiter pleinement des séances de chez eux ?
Elodie :
D’une façon pratique, il me semble important d’induire de la régularité dans sa pratique. Ce qui ne veut pas dire opter pour une pratique figée !
Tout bouge autour de nous, les saisons changent, notre corps aussi, la vie est mouvement.
Donc il ne faut pas s’en vouloir de faire évoluer sa pratique en fonction de ses besoins, de ses envies mais aussi de ses possibilités du moment.
Néanmoins, la garder vivante au quotidien en se déculpabilisant de la forme qu’elle peut prendre (une respiration, une série de postures, un auto-massage…) me semble la clé pour en profiter pleinement.
Si vous pratiquez des cours en ligne, je vous recommanderai ce que je recommande toujours à mes élèves : de ne pas confondre intensité d’une posture et douleur dedans.
Bref, d’être bienveillant avec vous-mêmes.
C’est-à-dire de vous respecter dans votre fatigue, votre énergie du moment, votre histoire corporelle, avec vos éventuelles blessures et fragilités… et tout ceci résulte de l’écoute fine de soi.
Mais la bienveillance n’est pas la complaisance. Être bienveillant, c’est voir que ça ne va pas fort, que ça n’est pas forcément génial, et comprendre autant qu’accepter.
Parce que ça passera. Être complaisant, c’est travestir ce qui est médiocre sous les dehors du bien. L’une met l’ego à distance, l’autre le renforce.
Si durant une pratique, vous avez besoin de vous lancer dans une posture compliquée pour vous prouver quelque chose à vous-mêmes et aux autres.
Quitte à y sacrifier votre alignement ou votre intégrité, très bien, c’est possible, sachez juste pourquoi vous le faites…
Et où ça risque de vous mener, c’est-à-dire à la blessure, donc à l’opposé de l’un des grands principes moraux du yoga tels que posés par les Yoga Sutra de Pantajali, à savoir Ahimsa, ne pas nuire, ni à l’autre, ni à soi.
Mais ça n’a rien d’évident, c’est pour ça que c’est intéressant (rires) !
Cannelle :
La bonne nouvelle, c’est que le festival « Good vibes » à la Clusaz est toujours maintenu pour le moment. Il aura lieu du 11 au 16 avril prochains.
Comment cela va-t-il se passer ? Est-ce qu’il y aura des cours en plein air ? Peux-tu nous en dire un peu plus sur le festival ?
Elodie :
La Good Vibes, c’est un peu le « pendant local » du festival de yoga qui a lieu l’été.
L’occasion de mettre en avant durant une semaine ce que l’on peut trouver en termes de yoga, d’ayurveda, de pratiques ressourçantes et bienfaisantes dans les Aravis.
Pour l’organisation, nous sommes toujours dans l’attente de la réouverture des salles de sport afin de pouvoir accueillir les gens en présentiel.
Mais avec toute notre petite équipe d’organisation ultra-motivée, on ne baisse jamais les bras.
Même si les salles n’ouvrent pas avant, nous avons plein d’idées pour faire que cet événement empli de bonnes énergies puisse se dérouler malgré tout, sous une forme ou sous une autre !
Cannelle :
Il y a aussi le festival de yoga de La Clusaz, dont tu es co-organisatrice. On espère que la quatrième édition aura lieu !
Les dates sont-elles fixées ?
Elodie :
Oui, ce sera du 16 au 18 juillet 2021 et là encore, nous avons réussi à le maintenir en présentiel l’an dernier, sous une forme adaptée au contexte sanitaire.
Donc il n’y a pas de raison que l’on n’y parvienne pas cette année.
D’ailleurs, la programmation est bouclée depuis plusieurs mois puisqu’on avait à cœur de retrouver les intervenants de 2020.
On ne veut pas faire du nouveau pour faire du nouveau chaque année, les rencontres et les relations humaines comptent beaucoup pour nous.
Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y aura pas quelques surprises, mais on vous les garde au chaud et on espère bien que tu pourras en profiter aussi lors de ta venue !
Cannelle :
Nous avons le bonheur de te voir pratiquer au travers des réseaux sociaux en Tenue Imala avec notre sweat Loula.
Est-ce que tu serais d’accord pour nous en parler et nous faire part de tes retours ?
Elodie :
Bien sûr, je le fais avec un plaisir d’autant plus grand que je ne suis pas sponsorisée !
J’ai un peu cassé la tirelire pour porter du Kitiwaké, parce que, pour moi, il ne s’agit pas seulement d’une marque de vêtements de yoga.
Il y a derrière une véritable conscience éthique de fabrication, autant sur le choix des matériaux textiles que des modes de production.
Je préfère avoir moins d’articles dans mon armoire mais me sentir pleinement en accord avec eux.
Et puis, à porter, la sensation de seconde peau du legging Imala est incroyable, d’une telle douceur enveloppante !
Et j’adore sa taille bien haute.
Il donne un effet gainant très libérateur de cette question existentielle : l’élastique de la ceinture va-t-il perfidement se placer sous le nombril pour y former un pli disgracieux (rires) ?!
J’aime aussi beaucoup le rose poudré de la brassière et son dessin très féminin.
Quel que soit le modèle Kitiwake que je porte, je trouve que le rendu est vraiment féminin, joli, et original sans être tape-à-l’œil, donc je les mets souvent, même en dehors des tapis.
Cannelle :
Merci infiniment Élodie, c’est toujours un bonheur de discuter avec toi et on a hâte de vous rejoindre cet été pour le festival de yoga de La Clusaz où nous aurons un stand au Yogi Market.